Convoi 2014, compte rendu de Paul Henri

Quelle aventure ! Comme vous le savez tous désormais, le vrai départ s’est effectué samedi dernier après que Jean-Philippe et moi-même ayons passé une nuit, enfin un petit bout de celle-ci, chez Marcelle (une femme adorable avec laquelle il fait si bon discuter) à Toulon. Nous y avons chargé notre 30 m3. J’y ai placé la collecte du sud en me souvenant des excellents conseils de Claude. Jean, Henri, Claude et sa compagne Maryse étaient déjà sur la route. Nous les suivions à une heure de distance à peu près. La frontière a été franchie vers 18 h si mes souvenirs sont bons. Auparavant, les points de collecte nous ont fait rencontrer des bénévoles et sympathisants extraordinaires. Merci à eux tous pour leurs généreuses attentions.

Rien ne distinguait encore, samedi en début de soirée, le franchissement de la ligne entre la civilisation française, certes râleuse mais qui tente parfois de se remettre en question, et celle truffée de traditions, qui me paraissent à présent obsolètes, de la « fière » et obtuse Espagne. Si ce n’est une écriture étrange sur les panneaux autoroutiers, faite de « x » à tout va, chez les Catalans ibériques. Plus ces derniers tourmentent les tauromachistes, plus ils sont heureux. Jusqu’à espérer un jour faire sécession. Aujourd’hui, je comprends leurs motivations, même si elles ne sont pas forcément guidées par l’amour des animaux.

Bref, nous sommes arrivés à Casas Ibanes à minuit passé, en même temps que le 19 tonnes que pilote Claude, assisté par sa discrète épouse Maryse, et que le 20 m3 de Jean et Henri. Plus tôt, Jean-Philippe et moi-même étions sûrs qu’ils étaient devant nous sur la route en lacets qui devait nous conduire à cette bien curieuse ville. Cette dernière semble en effet hésiter entre la modernité d’une bourgade de petite taille et la rudesse d’une campagne bien aride. Donc, nous voyons des feux de signalisation qui semble appartenir à un poids lourd droit devant nous dans la nuit noire. Nous sommes à quelques minutes de Casas, les yeux lourds et les muscles endoloris par ces heures passées sur l’asphalte. « Fonce », dis-je à Jean-Philippe. « Je crois qu’ils sont devant ». L’adrénaline nous tire de notre torpeur. JP enclenche la quatrième craquante en un tour de main et le moteur qui peine sous la charge gronde à nouveau. Les yeux écarquillés par l’excitation des prochaines retrouvailles, nous voilà fouettant notre monture. Le véhicule devant nous fonce comme un malade. « Claude conduit vite », m’étonnais-je. Nous nous rapprochons. Las ! C’est un bus à vide. Le chauffeur rentre chez lui. Il connaît cette route comme sa poche manifestement.

Enfin, la ville apparaît. Nous croisons les autres à ce moment-là. Chacun se range où il peut, après s’être faufilé dans des rues à peine assez larges. Les petits vieux sortent de chez eux. Nous sommes l’attraction du jour. Une invasion française ! Du jamais vu depuis Napoléon 1er !

Nous sortons de nos pièges à courbatures, prenons nos valises et nous dirigeons vers une sympathique auberge, très confortable. Le patron est agréable. Quelques ravissantes créatures aux jambes fuselées et chairs à l’air nous croisent. Il y a une jeunesse par ici. Tout n’est peut-être pas perdu pour l’Espagne. En tout cas, JP en est tout chaviré l’espace d’un instant. Mais il reprend vite ses esprits. Maria Dolores nous attend. Embrassades chaleureuses. Henri, notre routard, parle un allemand parfait. Ça tombe bien, Maria est mariée à un digne représentant du pays de Goethe. Pour ma part, je me débrouille avec tous les autochtones grâce à un mélange un peu curieux de français, anglais et espagnol. Nous prenons rendez-vous avec elle pour le lendemain matin et, après notre intéressant sandwich à l’omelette, allons nous coucher.

Henri et Claude. Ces deux là, croyez-moi, ils font la paire. L’un et l’autre retraités de la route, ils échangent régulièrement leurs connaissances sur la mécanique poids-lourd, jusqu’à presque aller désosser le bahut. Rien ne les arrête dans leur soif de connaissances et d’échange d’expériences. Henri est très surprenant, dans le bon sens du terme. Après 42 ans comme chauffeur routier à l’international, le titi parisien est devenu Normand. Il nous régale avec sa culture littéraire, géographique et historique. Rien ne lui échappe. C’est en plus « Monsieur 10 idées à la seconde ». A peine a-t-il posé une question qu’il passe déjà à la suivante alors que vous n’avez pas répondu à la première. Vif d’esprit, chaleureux, avec un accent parisien qu’on n’entend plus beaucoup. Atypique, le self made man, avec ses tatouages scorpion aux avant-bras, sa culture et sa queue de cheval. J’adore. Claude, lui, c’est le gars du Haut Doubs serein. Rien ne l’énerve. Plus calme a priori qu’Henri, les deux se complètent à merveille.

Jean. Sans lui, la location de véhicules à Lyon, vendredi, aurait été problématique. Et son vaste domaine, niché dans un bel écrin de verdure à quelques kilomètres à peine de la capitale de la gastronomie française, nous a permis de charger les camions en toute quiétude. Michèle, son épouse, nous a régalés de salades et charcuteries de première qualité. Michèle, attentive et chaleureuse, m’a observé d’un œil bienveillant alors que je me sustentais. Pardon, Michèle. Vraiment, je me suis fait l’effet d’un rustre monopensif, le nez plongé dans son assiette. Je me suis régalé à câliner leurs deux adorables toutous. Un boarder collie (je crois) et un magnifique podenco prénommé Lolito.

Le chargement chez Jean, vendredi toujours, s’est révélé assez folklorique. Déjà, une pluie torrentielle se chargeait de nettoyer nos fronts dégoulinants de sueur. Une équipe dépotait dans un garage. Le quad de leur fils et petit-fils, derrière lequel une remorque était attachée, faisait l’aller-retour à fond de caisse entre la maison et le 19 tonnes, à bord duquel j’aidais Claude à charger. Les cartons et sacs volaient dans tous les sens alors que nous étions bien à la peine pour ordonner de manière cohérente le chargement. La fougue du petit-fils n’avait pas de pitié pour nos pauvres corps de seniors. Son père arrivait à le modérer, heureusement. Tout s’est déroulé dans la bonne humeur. A la fin, un petit verre pour se désaltérer et nous avons repris la route avec JP pour Toulon. Les deux autres équipes sont parties le lendemain.

Plus tard, j’entrerai dans le vif du sujet en vous racontant nos sentiments lorsque nous sommes allés à la rencontre des bénévoles et des loulous des refuges de Casas Ibanes et de Socuellamos. Tout est un peu dans le désordre, mais je tenais avant tout à vous faire sentir l’ambiance et la bonne humeur qui anime notre petite troupe.

Le refuge de Maria-Dolores à Casas Ibanes

Après une très courte nuit à l’hôtel, nous voilà repartis sur le refuge de Maria Dolores, dimanche matin. Notre arrivée est accueillie comme si le Messie était parmi nous. Un nombre non négligeable de bénévoles nous embrasse comme du bon pain, tout sourire. Les yeux pétillent de joie à la vue du 19 tonnes. Les larmes ne sont pas loin. Claude, ses éternelles santiags aux pieds et Henri ouvrent la bâche : « Tout ça pour nous ? », s’exclament nos aides de camp improvisés. « Non », répond JP. « Une partie seulement. Nous devons en garder pour les 12 autres refuges qui parsèment notre route. » Le soulagement se lit malgré tout sur tous les visages des amis de Maria. Oui, ce sont ses amis, car il est vraiment difficile de trouver en Espagne des personnes volontaires qui prennent une matinée pour ramasser les déjections, câliner un peu les pensionnaires et, malgré tout, être assez fort pour ne pas se laisser aller à un cafard insurmontable. Les cartons et la nourriture passent de main en main et rejoignent un stock anecdotique au préalable.

Soudain, une mobylette blanche, surmontée d’un homme âgé assis sur sa selle, droit comme un « i », s’arrête devant le refuge. « C’est Leoncio », nous révèle Maria, tendue. Ce « fier » hidalgo est un chasseur. Il « traîne » avec lui trois superbes galgos, un peu trop osseux à mon goût, attachés au porte-bagage du deux-roues. Ses yeux cruels et pleins de morgue, qui ressortent encore plus à cause de son sourire moqueur, balaient très attentivement l’assemblée que nous formons. On dirait vraiment un serpent qui guette sa proie. Je constate avec horreur qu’il tire la peau du crâne de la galga blanche résignée qui se trouve à sa droite pour la maintenir à ses côtés. La pauvre bête jette un regard triste vers le refuge, comme si elle avait compris que là pourrait se trouver son salut. Ses deux autres compagnons semblent plus alertes. Dès que Leoncio se rend compte que je le photographie, il se met soudain à caresser ses chiens. Leur donner des petites claques serait le terme le plus approprié pour ce que j’observe. Il me jette un regard froid. Je le lui rends pour lui prouver qu’il ne m’intimide pas, tout en évitant de lui transmettre le dégoût qu’il m’inspire. Je ne veux en aucune manière saper le travail de patience de Maria, qui a le mérite absolu de vouloir faire admettre aux galgueros qu’ils peuvent se débarrasser de leurs chiens autrement qu’en les tuant ou en les torturant. Je m’approche de JP qui tourne comme un lion en cage et essaie de le calmer. Cela me fait mal de voir à quel point son visage est rouge de colère et son poing crispé. Je me mets entre les deux. Leoncio le sent. C’est un jeu pour lui. Il provoque. Il traque les émotions. Si nous nous déchaînons, il châtiera Maria pour l’affront que nous lui avons fait et il en profitera pour pendre ses chiens une fois la saison de chasse terminée. Une activité qu’il n’exerce plus aujourd’hui, selon Maria Dolores. Une façon de punir ses galgos, salis par les caresses et l’agressivité de ces « sales » Français. La pauvre Maria, elle, est obligée de sourire malgré la nausée qu’elle ressent face à l’abjecte et égocentrique conscience d’un homme méprisable et sans cœur. Il repart enfin. Ses chiens trottent, puis courent lorsqu’il accélère. Nous sommes tous démoralisés par notre incapacité immédiate à changer ce type de mentalité.

Nous nous retournons vers le refuge pour aller le visiter. Nos friandises à la main, nous passons de chiens en chiens et de box en box pour leur tendre une petite gâterie. La délicatesse avec laquelle ils la prennent me touche. Ils savent que nous sommes là pour leur apporter un peu de réconfort. Tout est propre ici. Maria protège 70 chiens et 30 chats. Ces derniers se trouvent évidemment dans une autre partie. Les chiens qui s’entendent le mieux s’ébattent ensemble sur un terrain, à l’air libre. Les autres sont dans des box, à l’abri d’un bâtiment que l’un des amis de Maria, maçon de son état, lui retape et modifie régulièrement. Souvent gratuitement. Les bénévoles se comptent sur les doigts d’une main, comme partout ailleurs, mais ils sont animés par le même amour des animaux. Mais notre travail dominical n’est pas terminé.

Le refuge de Socuellamos

Nous devons retrouver les autres routiers à Socuellamos l’après-midi même. Dès les abords de ce deuxième refuge pour JP et moi-même, nous entrons dans la quatrième dimension. Alors que nous approchons de ce qui ressemble fort à un camp de gitans, de ceux que la propreté n’effleure pas, nous ressentons un certain malaise. Une odeur douceâtre et désagréable flotte dans l’air. Le chemin qui nous mène vers notre destination est fait de creux, de boue et de poussière mélangés. La seule bonne surprise alors que nous nous arrêtons, après avoir auparavant récupéré nos compagnons de route à un carrefour, est l’accueil souriant que nous livrent Veronica et son compagnon, flanqués de quatre volontaires pour nous aider à décharger la marchandise que nous leur réservons. Cette fois, nous commençons par le 19 tonnes, pour ensuite passer à l’arrière avec le 30 m3.

L’enceinte même du refuge est très bien protégée par de hauts murs faits de plaques de béton superposées. Cela semble inviolable. Les deux entrées sont, quant à elles, bloquées par un portail en fer solidement cadenassé. La campagne alentour, sèche, est jonchée de détritus. Des sacs poubelles de déjections canines, qui laissent échapper une odeur pestilentielle, sont jetés pêle-mêle contre les murs extérieurs. Le compagnon de Veronica, dont j’ai oublié le prénom, nous raconte, le regard triste et résigné, que les éboueurs refusent de ramasser les ordures dans ce secteur, pour on ne sait quelle raison. Nous leur donnons toutes les couvertures et la nourriture que nous pouvons. Tout le monde est souriant, mais nous sentons bien le malaise qui plane. Nous sommes obligés d’enjamber des flaques d’eau brunâtres, dans lesquelles stagnent de la terre et de la matière fécale, pour nous rendre jusqu’à leur réserve. Les maisons où sont enfermés, parfois sans fenêtres, les plus petits chiens, ont un sol bétonné. La cour et les chenils extérieurs sont en terre battue. Une bonne dizaine de chiens sont entassés par box. On ne peut les approcher sans se faire éclabousser, ce qui limite nos ardeurs momentanément. Tout est défoncé, avec un goût d’inachevé. En tout, les bénévoles doivent nourrir leurs 200 chiens et nettoyer les lieux quotidiennement. L’atmosphère est limite insane. Comme Veronica et son compagnon touchent une misérable subvention de la ville de Socuellamos, ils sont obligés de récupérer tous les animaux que les autorités retrouvent abandonnés aux alentours. Ici règne la misère, le désœuvrement d’une équipe de jeunes gens débordés qui font ce qu’ils peuvent alors qu’ils ne sont que deux chaque jour pour tout entretenir : un toute la journée, l’autre 4 heures par jour.

Il est temps pour nous de nous diriger vers Ciudad Real, non sans avoir embrassé les volontaires de Socuellamos. La détresse se lit sur le visage de l’une d’entre eux. Elle a les larmes aux yeux. Cette image va rester dans mon esprit jusqu’à la fin de notre séjour. C’est la seule fois que nous avons approché une telle misère canine et humaine.

Petites précisions concernant l’éducation des gens vis-à-vis des animaux

En Espagne, comme en France, l’animal n’est pas considéré comme un être vivant à part entière. Le problème est donc le même dans ces deux pays pour ce qui concerne la vision que les deux populations voisines ont de nos compagnons à quatre pattes. Pour faire rapidement évoluer les mentalités, il faudrait d’abord que les gouvernements espagnols et français abrogent cet inacceptable statut de « bien meuble ». En France, des associations se battent pour ça. En Espagne, ils en sont encore à la bonne volonté de quelques responsables de refuges pour expliquer à la jeunesse, essentiellement, considérée comme plus malléable, que les animaux ressentent la douleur et les émotions, comme eux.

A ce titre, Maria-Dolores, la responsable du refuge de Casas Ibanes, fait un gros travail de fond auprès des écoles. Elle invite des élèves volontaires à venir partager le travail quotidien des bénévoles de son refuge. Elle intervient également dans ces mêmes écoles pour parler du sort réservé aux chiens de chasse, entre autres. Le contact direct avec toute la misère animale et la disponibilité des volontaires contribuent à leur donner une autre vision d’un monde dont ils ne connaissent même pas l’existence. Rita, qui nous a été d’une aide extrêmement précieuse pour les traductions à Baeza et à Linares, est elle-même d’origine espagnole. Elle nous expliquait qu’avant elle, son père était très concerné par la protection animale. Etranger en cela dans sa propre province andalouse (il est de Séville, si mes souvenirs sont bons), il dénotait par son attitude humaniste envers ces animaux livrés à eux-mêmes. Les Espagnols sont paradoxaux : ils aiment leur animal mais, en même temps, n’hésitent pas à l’abandonner dans la rue pour en reprendre un autre, sans état d’âme. Le chien ou le chat erre alors, à la merci d’un fou qui leur fera du mal ou d’une bonne personne qui leur donnera à manger ou essaiera de l’attraper pour le conduire en refuge.

Maria n’est pas la seule à effectuer ce travail de fond, très long et laborieux. Je pense à Silvia, du refuge de Palma del Rio, qui harcèle le maire de la ville pour qu’il lance une campagne de stérilisation afin d’empêcher les animaux de se reproduire et d’être encore plus maltraités qu’ils ne le sont aujourd’hui. Le mot de la fin appartient à Antonio, le vétérinaire qui peaufine la construction de la pension de Linares, entreprise dans son intégralité sur ses propres deniers : « Le métier de vétérinaire est très difficile en Espagne. Je refuse régulièrement les demandes d’euthanasie d’animaux qui ont pour seul défaut le fait d’avoir des maîtres qui n’en veulent plus. Il faudra très longtemps pour que les mentalités évoluent ici. Nous avons des associations qui nous aident, comme celle de Jean-Philippe. A part cela, il n’y a rien à attendre de la part des municipalités sur lesquelles nous sommes établis. L’évolution et la prise de conscience, chez nous, se font pas à pas, au jour le jour. »

 

Lundi 13 octobre

Le refuge de Malagon

Chers amis de la communauté Jean-Philippienne, voici la suite de notre épopée espagnole.

Après une nuit passée dans un hôtel de Ciudad Real, quelques difficultés avec un réseau internet pathétique (les Espagnols semblent ne pas encore avoir découvert l’ADSL), me voila reparti pour l’aventure et les dons des adhérents aux refuges avec Jean-Philippe. Direction Malagon pour y rencontrer Nieve et ses 150 chiens, répartis sur trois sites. Nous n’en verrons qu’un, celui qui est baptisé « Protectora de animales Malagon ». Les dons y sont centralisés pour être ensuite répartis par les bénévoles le plus équitablement possible.

Dès l’arrivée au village plat et aux constructions non terminées pour certaines, toutes de cette couleur ocre qui nous est désormais familière, un édifice rouge et funèbre à nos yeux se dresse là où nous avons rendez-vous pour aller au refuge. « La Plaza de Toros », autrement dit l’arène maudite où tant de taureaux se font massacrer plusieurs fois par an au nom d’une tradition cruelle. Nous patientons, observant avec malaise le rouge sang des palissades.

Enfin, Nieve arrive et nous guide au travers de chemins chaotiques et caillouteux, entourés de paysages pas trop décourageants, puisque libres de ruines et parsemés d’arbres. Assez vite, le refuge apparaît. Des aboiements nous accueillent. Pour nous aider à décharger les croquettes et couvertures, nous ne recevons l’aide que de deux personnes : la responsable citée plus haut et un volontaire efficace. Seuls cinq à six bénévoles y travaillent à l’année, jusque 16 pendant les vacances scolaires. Nieve n’en revient pas lorsqu’elle voit notre chargement et ce que nous avons déjà déposé à terre. Elle ne peut cacher sa surprise lorsque nous lui disons qu’un camion va venir également lui donner une palette de nourriture, soit près de 500 kgs. Cette femme volontaire reprend néanmoins vite ses esprits car il y a du pain sur la planche. Il faut soigneusement ranger les dons dans un réduit qui, s’il n’était pas bien agencé, serait trop étroit pour l’occasion.

Nieve ne se laisse pas impressionner trop longtemps. Son côté pratique reprend vite le dessus. C’est une femme efficace. A peine a-t-elle fini de ranger les dernières boites données par Claude qu’elle file nettoyer les cages avec son collègue. Tous les chenils sont d’une propreté irréprochable. Les chiens attendent d’être libérés pour venir nous sauter dessus, nous donner de l’affection et croquer avec plaisir les petites friandises que nous leur apportons. La joie les transporte de voir du monde et de bénéficier, le temps de quelques caresses, de la chaleur humaine qui leur manque. Une fois de plus, nous sommes crottés de la tête aux pieds. Peu importe, nous avons aussi notre lot de réconfort donné par tous ces beaux loulous, essentiellement des chiens de chasse de pure race.

La responsable ne se contente pas de nos dons annuels pour faire un travail de fond auprès de la population, à grand renfort de messages divers et variés pour récupérer quelque argent. Ainsi, les façades de son refuge sont recouvertes de dessins aux couleurs gaies et de messages qui avertissent les gens qu’un don peut l’aider à soigner ses animaux. Elle lance régulièrement des appels à adoption et vend de très beaux calendriers à 6 € pièce. Le tout est de ne pas se laisser abattre et de regarder les choses se dégrader de manière passive.

L’heure est venue de la laisser pour nous diriger vers le deuxième refuge du jour pour nous : Puertollano.

Le refuge de Puertollano

Nous revoici en train de traverser les terres désolées de Castilla La Mancha. Ruines et pauvreté à perte de vue. Voitures au chargement insolite et population qui vaque à je ne sais quelle occupation. Seulement, voilà. JP et moi-même étant dotés d’un sens très particulier de l’orientation lorsque le GPS fait des siennes, nous sommes obligés de nous arrêter à plusieurs reprises pour trouver notre chemin. Fort heureusement, Miguel, le mari d’Eugenia, nous appelle depuis Madrid, informé par je ne sais quel biais de nos déboires. Claude nous suit en camion. Je prends notre sauveur au bout de la ligne pendant que JP s’accroche au volant, concentré au maximum. Dans un mélange savamment étudié de français, anglais et espagnol pour que nous nous comprenions, Miguel me donne les infos précieuses qui doivent nous mener à bon port. Je les note, raccroche et dirige JP. Prendre la place du GPS, c’est du jamais vu pour moi. Alleluia ! J’y parviens. Nous arrivons alors dans un étrange endroit face à un énorme complexe pétrochimique. Ambiance plutôt lugubre, mais le soleil est là. Heureusement.

Au moment de faire notre manœuvre pour laisser la place au 19 tonnes et le décharger de sa palette de boîtes, nous voyons une très belle petite chienne tenue en laisse par l’une des bénévoles du refuge. JP réalise qu’il s’agit de Copita, qui ne devait nous être confiée que le jeudi. Trois jours d’avance. Bon, tant pis. Elle est trop mignonne. JP me signale d’emblée qu’elle dormira avec moi. Ok, pas de soucis. Le temps de décharger une partie de nos cargaisons, la belle attendra dans une pièce. On va faire au plus vite, déjà qu’elle y végète depuis presque trois ans ! Son adoption en France est un vrai miracle en soi.

Le refuge est énorme. 300 chiens, qu’Eugenia, par on ne sait quel tour de force, connaît tous par leur prénom, y sont quotidiennement soignés et nourris. Puertollano donne une subvention mensuelle au refuge, ce qui laisse sous-entendre, comme précisé auparavant, que tous les chiens abandonnés du secteur s’y retrouvent. Personne ne parle français, donc nous nous débrouillons pour nous faire comprendre. Nous pataugeons dans la boue des extérieurs de l’enceinte. Une heure plus tard, nous avons fini. Eugenia, femme de caractère et souriante, nous guide à l’intérieur d’un labyrinthe composé de sas de sécurité, au milieu desquels quelques chiens nous suivent, dont un jeune berger allemand très affectueux. Je suis sous le charme.

Les lieux sont bétonnés, hormis les aires de jeu prévues pour le défoulement des chiens de chaque secteur. Les galgos et podencos ont le leur, isolés du reste des effectifs dans une véritable forteresse. De quoi décourager les voleurs qui prennent un malin plaisir à venir se servir si ces chiens sont trop en vue. Eugenia en lâche quelques-uns qui se précipitent vers nous pour obtenir des caresses et les quelques friandises que nous leur tendons. C’est une horde en quête d’amour qui déferle sur nous. Nous en avons les larmes aux yeux. Comme celle qui nous attend de l’autre côté d’une clôture. Là, les toutous tournent autour de nous, nous sautent dessus, nous lèchent parfois. Nous sommes complètement désarmés face à cette confiance sans bornes. Nul ressentiment ou aigreur chez les canidés.

Je sens soudain que les jambes de mon pantalon sont mouillées. Je les regarde et m’aperçois que certains m’ont fait pipi dessus. Une nouvelle première pour moi, alors que mes compagnons ont été épargnés. Lequel de ces chiens me voulait au point de me marquer avec son odeur, comme si j’étais déjà sa propriété ? Je ne le saurai jamais. Tout ce que je peux dire, c’est que l’endroit regorgeait de mâles dominants. Nous rebroussons chemin et Eugenia nous montre une dernière chose avant notre départ : la pièce, où tout le travail de la journée est organisé pour les deux à trois volontaires, comporte un tableau. Ce dernier représente en détail le plan complet du refuge. Les noms des chiens de chaque chenil y figurent. Nous sommes impressionnés par une telle organisation et nous en félicitons Eugenia.

Nous reprenons la route avec Copita sur le siège passager, entre nous deux, pour nous diriger vers Cordoba et un repos bien mérité.

Péripéties du soir à Cordoba

Je reviens à notre départ de Puertollano, la veille, avec Copita. Après deux heures de route, nous arrivons enfin à Cordoba et trouvons, ô miracle, notre hôtel presque tout de suite. La petite chienne a été très sage pendant toute la durée du trajet. A peine descendu du véhicule (notre bien-aimé 30 m3 qui ne nous quitte plus, sorte de garde-manger pour nous qui sommes affamés et prenons à peine le temps de nous restaurer à coup de sandwich caoutchouc de station service, de chips et de Pims orange, de coca pour JP et d’eau pour moi), je décide de promener la belle qui, évidemment, ne semble pas avoir envie de se lâcher dans ces rues inconnues et bruyantes.

Je retourne sur mes pas et accompagne JP à la réception pour notre enregistrement. Soudain, une odeur étrange parvient à nos narines. Nous nous retournons et constatons que Copita nous a laissé un petit cadeau sur le sol. « Mais comment une chienne aussi petite peut-elle faire un étron pareil ?! », m’exclamais-je. Vite, je prends le sac plastique qui contient mes cigarettes et ramasse le forfait pendant que JP va chercher du papier toilettes dans les commodités du rez-de-chaussée pour nettoyer les traces, sous le regard réprobateur mais poli de l’employé. Il nous donne vite fait nos cartes pour que nous disparaissions de sa vue. Nous ne nous faisons pas prier et nous éclipsons, moi par les escaliers avec la chienne, JP dans l’ascenseur avec nos valises. Nous devons nous rejoindre au premier étage.

J’arrive et commence à l’attendre. Il n’arrive pas. Que se passe-t-il ? S’est-il trompé d’étage ? Perplexe, je commence à le chercher, pensant qu’il est déjà dans sa chambre, accolée à la mienne. Personne. Environ 5 minutes passent. Il débarque enfin, échevelé et hilare : « Tu ne m’as pas entendu. Je voulais que tu viennes avec moi et j’ai pressé sur ce que je pensais être le bouton de retenue des portes. C’était l’alarme. J’ai attendu qu’on vienne me libérer. » Gros éclat de rire de ma part, sous le sourire jaune de l’intéressé. « On ne peut pas dire qu’on ne s’est pas fait remarquer », objectais-je alors. Ce que je pensais être une conclusion ne l’était pas du tout.

Je prends possession de ma chambre confortable à deux lits jumeaux rapprochés. La chienne saute sur l’un d’eux. Je dépose mes valises et fais le tour des lieux. Je me retourne, vais caresser la chienne et remarque une large tache, chaude et humide, plus sombre que les couvre-lits violets. Elle vient de faire pipi. Je la gronde, mais pas longtemps. Mon cœur fond à la vue de ses yeux interrogatifs. Elle n’est pas consciente que c’est mal. Elle a juste besoin de marquer son territoire pour se rassurer. Vite, j’attrape une serviette à la salle de bains, la mouille et éponge le désastre comme je peux avant que cela n’atteigne les matelas. Je décide de prendre le moins touché des deux pour la nuit. Je vais dormir dans l’odeur âcre du pipi.

Je ne risque désormais plus rien, puisqu’elle vient de s’alléger. Je descend rejoindre JP pour notre dîner à l’hôtel même. Pas besoin de ressortir, c’est un soulagement. Nous nous détendons enfin. De retour dans ma chambre, je ne constate aucune autre bêtise. Il pleut à verse à l’extérieur. Je me couche, relativement tranquille. Elle n’ira quand même pas faire pipi sur moi. Elle ne l’a pas fait. Je m’endors enfin. Au réveil, je me sens à nouveau en pleine forme pour attaquer une nouvelle journée de bienfaisance. Mais je sors la chienne avant de prendre mon petit déjeuner. Elle nous attend dans le camion pendant que nous nous restaurons. Vers 10 h, départ pour Palma del Rio.

 

 

Mardi 14 octobre

Le refuge de Palma del Rio

Nous débarquons dans les heures de midi à Palma del Rio. Nous y retrouvons Silvia et allons déjeuner ensemble à l’hostal de San Francisco, avec Copita, bien entendu (inutile de vous dire que cette adorable chienne nous a suivis partout jusqu’à ce qu’elle ait enfin rejoint son adoptante). Entre-temps, nos amis du reste du convoi sont arrivés l’après-midi au refuge, en compagnie de Régis, qui doit tourner ici une bonne partie du film qu’il prépare pour l’association.

Silvia est originaire de Barcelone. Elle est très décidée et a une idée bien arrêtée sur ce que doit être un bon refuge. Elle se rend tous les mois en Andalousie pour régir les travaux à entreprendre et constater l’état d’avancement de ce qu’elle met en place petit à petit pour le confort de ses 70 chiens. Comme pour tous les autres refuges, peu de bénévoles y travaillent à l’année. Elle parle français, ce qui nous facilite grandement la visite.

C’est elle qui finance tout. Cela lui permet de conserver une grande autonomie et de faire en sorte que ses chiens ne soient pas à l’étroit sur ce vaste domaine. Ils bénéficient tous de grands terrains et d’espace. Un sentiment de liberté tout en étant protégés. Rien qu’à les approcher, on sent bien qu’ils sont équilibrés. Mais ils ont de grands besoins que Silvia ne pourrait supporter sans l’aide d’associations comme la nôtre.

Nous commençons donc à débarquer nos palettes et cartons lorsque Régis nous stoppe dans notre élan : « Je vais vous filmer. Il faudra que vous commenciez lorsque je donnerai le top départ. » Tout le monde s’y prête de bonne grâce. Sur son ordre, nous défilons un par un devant la caméra et l’œil expert et enjoué du réalisateur. La nourriture, les couvertures, les draps et jouets défilent et vont rejoindre des stocks dangereusement pauvres.

Nous laissons des médicaments au vétérinaire que Silvia maintient à demeure grâce à une superbe clinique, avec salle d’opération, qu’elle a aussi financée. Tout le matériel dernier cri s’y trouve. A terme, elle espère attirer une clientèle grâce à la pension qu’elle monte un peu plus loin. Tout pourrait être pour le mieux dans le meilleur des mondes si le gardien des terres n’était pas un galguero. Las ! Ce dernier n’a de cesse de tourmenter Silvia. Et gare si un chien du refuge venait à s’échapper. Pas sûr que la pauvre bête s’en sortirait vivante. Pour l’heure, Silvia tente d’infléchir le caractère intransigeant du bonhomme, au jour le jour, pas à pas. Et elle refrène sa propre colère, qui ne serait pas constructive en l’occurrence.

Nos compères repartent pour un autre refuge alors que JP et moi-même allons au contact des loulous, trop heureux de nous sauter dessus pour avoir plein de caresses et de bisous. JP a déjà évoqué ce chien terrorisé par l’homme depuis qu’il a été battu presqu’à mort, petit, par son ancien propriétaire. La mise à mort, depuis l’inquisition et ses ravages, est décidément une manie dans ce pays. Il s’en est sorti avec beaucoup de séquelles et une intolérance à l’humain. Il admet juste quelques autres chiens avec lui. Silvia pense aussi au galgo errant dans les rues de Palma, croisé plus tôt dans la ville, et qu’elle essaie d’attraper en vain depuis 4 ans.

Elle ne se fait guère d’illusion sur ses compatriotes, mais ne renonce pas. Ce terme n’existe pas pour elle. Elle se bat, tous les jours, pour faire évoluer les mentalités. A commencer par celle du maire, qu’elle incite à mener une campagne de stérilisation. Non seulement pour empêcher les chasseurs de faire n’importe quoi avec leurs chiens, mais aussi pour contenir une surpopulation qui risque de finir chez elle si elle n’y prend pas garde. C’est le courage d’une femme qui ne désarme pas face à la bêtise humaine.

Il est temps pour nous de dire au-revoir et de nous rendre à Ecija.

Le refuge d’Ecija

C’est reparti pour un court trajet qui doit nous mener au point de rendez-vous suivant. Une voiture nous attend à un rond-point. Deux femmes en descendent. L’une, Vickie, est plutôt rousse. L’autre, Santi, est brune. Elles semblent énergiques. Nous les suivons sur 4 ou 5 kilomètres jusqu’à un ancien corps de ferme, en large retrait de la route, qui semble en assez bon état. Je ne me rends pas compte tout de suite que nous n’entendons aucun aboiement. Nous descendons et, sans perdre de temps, commençons à décharger tout ce que nous leur réservons : beaucoup d’alimentation et beaucoup de couvertures, jusqu’à presque vider notre véhicule. JP est à l’arrière et nous passe les dons que j’entrepose avec les dames dans une réserve bien protégée et au sec. Au bout d’une heure, c’est terminé, à la plus grande joie de Santi qui semble épuisée par l’effort. Vickie, quant à elle, n’aurait pas vu d’inconvénients à vider le camion.

C’est alors que je me rends compte que le silence règne. Ici se trouve le futur refuge pour les 170 chiens qui résident pour l’instant sur l’autre site « historique ». Tout est déjà bétonné. Chaque chenil comporte une ouverture sur une petite cour où les chiens pourront s’ébattre. C’est immense. Les petits pensionnaires pourront y être plus à l’aise, avec quelques pistes herbeuses clôturées pour pouvoir y jouer. C’est du solide. « Rien à voir avec ce que l’on va visiter tout à l’heure », explique Vickie, qui paraît mener les opérations. L’évacuation des déjections, après nettoyage, pourra se faire dans une fosse à purin. Plus besoin d’entreposer des sacs poubelles nauséabonds. « Tout sera fini pour le premier trimestre de l’année prochaine, j’espère », me souffle Vickie, qui décidément a jeté son dévolu sur moi. « Lorsque nous emménagerons, nous vous convierons à manger une vraie paella. »

L’invitation tient pour les deux, mais elle demande mes coordonnées. Elle se fait charmeuse et ignore superbement JP qui, soit dit en passant, s’en fiche royalement. La dame a la soixantaine bien tapée. Je suis un peu gêné par l’opération séduction mais n’en laisse rien paraître. Je suis là pour les loulous. Je lui pardonne volontiers ses égarements car je vois à quel point elle est concernée par le bien-être de ses protégés. La maison du corps de ferme sera également retapée pour que les bénévoles puissent y dormir et se faire la cuisine. « Tout ça est réalisé sur nos fonds propres », poursuit-elle. « Nous ne réclamons aucune subvention municipale. Nous ne voulons dépendre de personne et surtout ne pas être obligés d’accepter tout les chiens du secteur. Cela nous conduirait trop vite au sureffectif. Nous devrons nous acquitter d’un loyer mensuel de 800 €. » Et les projets ne sont pas terminés. Lorsque les chiens seront sur place et se seront habitués à leur nouveau cadre, la poignée de bénévoles réalisera un refuge pour chats sur le site, un peu en retrait.

Nous quittons, comme l’a évoqué JP dans son propre compte-rendu, la seule pensionnaire extérieure des lieux : une adorable petite chienne qui vient d’avoir une portée de cinq bébés, sur laquelle Vickie et Santi gardent un œil bienveillant. Elles nous conduisent ensuite vers l’actuel refuge, en nous précisant que les conditions de vie des chiens y sont épouvantables. Une certaine appréhension nous étreint. Peu après, nous empruntons un chemin caillouteux à travers de belles plantations d’oliviers. Vickie nous a prévenus : le propriétaire du terrain est un véritable « con ». Agriculteur et chasseur de son état, il possède lui-même 4 ou 5 chiens sales mais qui paraissent nourris convenablement. Ce monsieur s’amuse à couper l’eau et l’électricité si le refuge tarde à régler son loyer. « Cela devient intenable », soupire Vickie. Santi a déjà filé et procède au deuxième nettoyage des chenils pour la journée. « Heureusement, on s’en va bientôt. »

La première partie du refuge est bétonnée, donc correcte. Mais les deux autres tiers sont en terre imbibée d’eau dès qu’il pleut (et il a beaucoup plu) parce qu’à l’air libre. Les conditions de vie des animaux y sont difficiles car ils sont trempés et nous gratifient d’éclaboussures douteuses dès que nous approchons pour les caresser et leur donner des friandises. Les bénévoles se donnent un mal fou pour tout nettoyer. Nous passons d’un enclos à l’autre, sous le regard désolé de Vickie, qui a les larmes aux yeux. Le cauchemar va cesser dans quelques mois. Elle aimerait déjà y être.

Nous nous quittons le cœur gros, en nous promettant de nous revoir pour la fameuse paella. Même si nous ne pouvons pas y aller, il est certain que nous irons à nouveau leur rendre visite pour le prochain convoi 2015. JP est touché par ces personnes dynamiques, pleines d’idées et de ressources intellectuelles. Moi aussi. Nous ne pouvons nous empêcher de faire un différentiel avec Socuellamos, dont l’état reste inchangé depuis deux ans.

Direction Baeza pour rencontrer Maria Teresa et Rita, l’une de ses amies belges d’origine espagnole. Cette dernière parle un français parfait, qui va nous être d’un grand secours pour le lendemain.

Péripéties avec Copita.

Toute cette journée s’est déroulée à merveille avec Copita à nos côtés. Bon, il y a bien eu quelques vomis, ce qui lui a valu d’être baptisée Vomita par nos soins à la fin de notre voyage. Nous arrivons à Baeza et y rencontrons Maria Teresa et Rita. Présentations d’usage pour moi qui ne les connais pas. Échanges sympathiques immédiats. Elles nous précèdent ensuite vers notre auberge pour deux nuits. Enfin un repos bien mérité pour nos carcasses endolories, surtout pour JP qui souffre du dos.

Nous descendons et je monte de suite Copita dans notre chambre, après l’avoir promenée sans qu’elle ait fait quoi que ce soit. Un scénario qui me rappelle étrangement celui de la veille. Mais comme elle n’a rien mangé ni bu, malgré nos sollicitations, je ne me méfie pas. Je la laisse s’installer et redescends pour profiter de l’apéro et des tapas du soir. A peine cinq minutes plus tard, Rita m’apprend que le patron se plaint des aboiements d’un chien. Ça ne peut être que la mienne. Nous sommes en Espagne, les gens ne viennent pas avec leur animal familier à l’hôtel.

Je me précipite dans la chambre. J’y découvre un bel étron un peu mou sur le sol et l’éternelle mare de pipi sur l’un des lits jumeaux, heureusement séparé de l’autre. Je fronce les sourcils et montre mon mécontentement en râlant tout de même. La chienne est insensible à mon courroux. En revanche, elle me fait comprendre qu’elle a horreur de se retrouver seule dans la saleté. Culottée la cocotte. Elle doit avoir du cocker dans son sang pour faire preuve d’autant d’aplomb. Je nettoie et, sur les conseils de Rita, la reconduit dans la cabine du camion, où elle s’installe sans être perturbée le moins du monde.

Je me démène ensuite pour lui trouver à manger. Elle engloutit le tout en cinq minutes. Puis elle boit. Je la laisse à sa digestion. Je rejoins les autres, dîne enfin et me détends. Demain, nous irons au refuge de Maria Teresa pour vider le reste de notre 30 m3, puis nous attendrons nos autres compagnons pour qu’ils fassent de même avec leurs véhicules. C’est là que nos distributions prendront fin. Ensuite, nous irons à la pension Aimar, celle qu’Antonio, le vétérinaire, a construite. Peut-être aurons-nous le temps de passer à sa clinique.

Je remonte avec la chienne dans ma chambre, après l’avoir promenée un bon moment. Elle a fait pipi dehors ! Hourra ! Tranquillisé, je sais que la nuit sera sereine. Je jette un tapis de sol imperméable, trouvé dans le fourgon, sur le lit souillé et intime l’ordre à Copita de s’y coucher. L’y invite serait le terme le plus exact. J’ai encore mes photos à vider sur mon ordi avant de me coucher. Elle tente de venir sur mon lit, mais je l’en empêche avec un geste péremptoire du bras. Elle s’exécute et nous nous couchons chacun dans notre lit. Extinction des feux. Nuit sans soucis.

 

Mercredi 15 octobre 2014

Le refuge de Maria Teresa à Baeza

Réveil un peu difficile. La fatigue se fait ressentir. Les contrecoups de tout ce que nous avons vu jusqu’à présent nous reviennent de plus en plus en mémoire. Pas de bêtises à signaler du côté de Copita. Toilette et promenade de la chienne avant le petit-déjeuner. Rita et son mari Michel arrivent vers 9 h 30, comme prévu. Nous prenons notre café et notre tartine grillée à l’huile d’olive et à la tomate ensemble. Le programme de la journée est chargé. Direction le refuge de Maria Teresa, où nous allons vider notre 30 m3. Il est situé sur le terrain d’une déchetterie, lieu atypique pour un refuge. Les collines alentour sont parsemées de plants d’oliviers. C’est propre et curieusement calme.

Notre arrivée est saluée comme il se doit par tous les loulous. Quelques chiens sont en liberté dans l’enceinte grillagée. Une belle mastine vient nous faire ses salutations et se laisse longuement caresser et embrasser, ainsi que ses compagnons. Michel se met de suite au nettoyage après que nous ayons rangé toutes les affaires que nous leur avons données. La suite sera distribuée le soir même lorsque nos compères auront fini leur tournée dans d’autres refuges de la région. José, l’un des jeunes bénévoles, débarque en deuxième partie de matinée pour laver à fond les sols des chenils.

Pas de galgos ici. Ils sont tous à la pension d’Antonio. En revanche, beaucoup de chiens de chasse et de pures races végètent ici depuis de trop nombreuses années. JP me demande de faire des photos. Je suis chargé de fixer sur la pellicule numérique tous ses coups de cœur, soit parce qu’ils sont malades, âgés ou encore depuis trop longtemps sur place. Il est temps de les valoriser pour qu’ils (re)trouvent enfin une famille aimante. Je m’exécute de bonne grâce, d’autant plus que je peux les câliner en même temps. Rita vient vers moi avec un loulou, sur le dos, dans ses bras. « Il s’endort quand on le berce. Tu veux le prendre ? » Je ne me fais pas prier. Que c’est bon de sentir un petit corps bien chaud et confiant s’abandonner ainsi. C’est tellement inoffensif un chien comme ça. Bon, il ne s’agit pas non plus qu’il s’endorme trop longtemps. Il a le droit à son ¼ d’heure de liberté. Je le relâche pour qu’il puisse s’ébattre.

Je navigue de chien en chien. Une caresse à l’un, un bisou à l’autre. Une série de photos par ci, une autre par là. Je reviens toujours vers la grosse louloute mastine jamais lassée de mes avances. Une vraie salade de museaux. Ce n’est pas le tout. JP donne le signal de départ pour Linares et la pension d’Antonio. Maria Teresa nous rejoint après son rendez-vous médecin. Nous reprenons la route pour une vingtaine de kilomètres.

La pension de Linares

Après un chemin étroit et toujours aussi difficilement carrossable, nous parvenons à la grille de la pension. Un autre monde s’offre à nous. C’est une vraie forteresse moderne aux couleurs estivales, presque achevée. Une fontaine et une aire de jeux pour enfants sont édifiées à droite. La petite maison qui accueille les visiteurs est à gauche. Tout cela est planté en plein milieu d’un vaste terrain clôturé où jouent joyeusement une bande de petits chiens. Diamante, une grande galga blanche un peu efflanquée vient nous dire bonjour et se presser contre nos jambes. Elle est d’une gentillesse et d’une douceur extrême. Maria, l’employée permanente, apparaît sur ces entrefaites, au milieu d’une petite horde survoltée. Deux bébés galgas (Yara et Kalea) tourmentent un tout petit chien qui, du coup, va se cacher sous une voiture pour échapper aux deux fripouilles. Zafiro, leur frère, n’est pas là pour le moment. Vite, je prends les petites dans mes bras, l’une après l’autre. Je n’avais jamais vu, en vrai, des galgos en pleine croissance. Elles se laissent câliner sans problème et laissent leur tête contre mon visage. Un grand moment de bonheur, encore une fois.

Le contraste est énorme entre le dépouillement des refuges que nous avons vus et cette pension flambant neuve. Antonio, le vétérinaire à l’origine de cette édification, a tout pensé et réalisé sur ses fonds propres. Pour l’instant, tous les galgos, podencos et croisés de ces races appartiennent à des associations étrangères, dont la nôtre. Ils sont parrainés par des adhérents. Leur coût d’entretien s’élève à 90 €, autrement dit pas grand-chose au regard de ce qui se pratique en France. JP n’est pas là pour s’amuser. On le voit déjà à ses yeux sévères et à sa mine tendue. Maria n’est pas très à l’aise non plus. Pourtant, elle n’a rien à se reprocher. Ce que JP veut savoir avant tout, c’est pourquoi des galgos ont été volés quelques jours plus tôt par des gitans, malgré les systèmes de protection et les caméras de surveillance placés aux endroits stratégiques, près des chenils (voir l’onglet qui relate cette affaire et les explications d’Antonio, sur le site internet de l’association).

Nous entrons alors dans la deuxième partie de la pension, après avoir franchi la porte latérale d’une solide et haute grille métallique. Là se trouvent, à gauche, trois couloirs qui se succèdent, protégés par des portes, avec dans chacun, une rangée de box de chaque côté. Deux à trois chiens sont placés par box, avec tout le confort nécessaire. Tout est d’une propreté sans faille. En face de chaque couloir est placé un vaste terrain clôturé pour que les chiens de chaque rangée puissent s’ébattre lorsque l’heure de la récréation a sonné. C’est rudement bien fichu, comme on dit.

Maria nous montre les modifications apportées aux systèmes de surveillance. JP est satisfait. Il lui demande alors s’ils ont un appel à distance pour les alerter d’une intrusion. Maria confirme et nous montre encore mieux. Elle peut, à tout moment, consulter les vidéos de surveillance en temps réel sur son smartphone dernier cri. Très convaincant. Dernière requête : « Y a-t-il un gardien la nuit, comme je l’avais demandé ? », demande JP. « Oui », lui répond Maria. « Il y en a même un le midi. C’est mon père. » Tout semble être en ordre. Maria, les larmes aux bords des yeux, explique à JP qu’elle a du mal à se remettre du dernier vol, d’autant plus que certains chiens n’ont toujours pas été retrouvés. JP la console comme il peut, en lui répétant que ce n’est pas de sa faute et qu’Antonio aurait du faire le nécessaire bien avant, dès les premières tentatives de vol.

La tension baisse. Il est un peu plus de 14 h, Il est l’heure d’aller déjeuner. Direction Linares centre, dans la voiture de Maria. Nos acolytes nous y attendent, puisqu’ils avaient un refuge à alimenter le matin même. Après nous être restaurés de tapas (amuse-gueules successifs servis après chaque boisson commandée), retour à la pension. Nous profitons encore des loulous. JP me montre ceux que nous emmenons le lendemain en France. Ils sont superbes. Je tombe alors raide devant un étrange animal qui ressemble à la Bête de la Belle, ou au chien de l’enfer.

Il est bringé, a le corps d’un chien de chasse espagnol et une grosse et large tête dans laquelle sont plantés deux yeux de couleur jaune ambrée claire. Je suis stupéfait. Il se frotte contre la grille de son box. Je tends la main, il me lèche. Je le caresse. Je suis séduit. Rita est avec moi. Nous le sortons. Il arrive presque à ma taille. Du jamais vu. Le gros pépère se frotte à moi. Il réclame de l’affection et je la lui donne avec un immense plaisir. Il s’appelle Erol et est le produit d’un croisement entre un podenco et un pittbull. Incroyable ce que les chasseurs sont prêts à faire pour améliorer les performances de leurs meutes. Je l’aurais bien embarqué avec moi. Je suis soulagé lorsque j’apprends, deux jours après mon retour en France, qu’une association allemande le parraine en attendant qu’il soit adopté. Il ne quitte plus mon esprit.

Nous remontons. Régis poursuit la vidéo du convoi et souhaite un lâcher de chiens. Henri, Claude, Maryse et Jean passent de chiens en chiens et vont finalement se reposer sur les margelles de la fontaine. C’est alors qu’Antonio surgit. Inquiet que nous ne soyons pas encore passés à sa clinique. Plus encore parce qu’il sait que JP a des griefs à son encontre. Rita fait l’interprète. Les deux hommes se regardent à peine. Maria, coincée entre les deux, continue à se justifier, avec force démonstrations de vidéosurveillance sur son smartphone. L’entente est relative. Finalement, Antonio rejoint les ouvriers du chantier pour constater l’état d’avancement des travaux. Lorsqu’il revient, il nous donne rendez-vous le soir même à notre hôtel de Baeza, vers 22 h, pour nous offrir l’apéro.

Avant de regagner l’auberge, retour au refuge de Maria Teresa pour vider le reste des dons que transportent le 19 tonnes et le 20 m3. Nous avons fini à 20 h, non sans avoir auparavant prodigué une caresse aux chiens en vadrouille dans l’enceinte.

Nous retrouvons nos pénates vers 20 h 30. Je fais manger et boire Copita qui, soit dit en passant, a passé une agréable journée à l’air libre à la pension. Elle fait pipi et caca. Ses tuyaux sont nettoyés. Je la remets dans la cabine du 30 m3 et rejoins les autres pour un moment de détente. Antonio et Maria arrivent vers 22 h 15. L’ambiance est bonne. Ils discutent surtout avec Rita et Maria Teresa. Lorsque l’heure du coucher sonne, je m’approche d’Antonio pour lui parler (voir plus haut le passage où je parle de la modification des mentalités espagnoles). Il sourit enfin. Il est agréable, semble fatigué et soucieux. Sa rencontre avec JP semble avoir été profitable. Nous nous disons tous bonne nuit, un peu fatigués par l’anisette et le vin rosé que nous avons bus avec Jean, Henri et Claude. Sauf JP, fidèle à son éternel coca. Quant à Copita, rien à dire. Sage comme une image, pas de bêtises nocturnes dans la chambre. Il valait mieux, car la patronne avait bien évidemment remarqué le forfait de la veille. Rita, encore merci à elle, a réussi à dégoupiller la grenade qui s’apprêtait à exploser à ma figure.

Dans le récit suivant, je vous conterai notre retour progressif vers Perpignan et les multiples péripéties que nous avons eues à surmonter, parfois cocasses. Et pardon pour les répétitions que vous n’avez pas manqué de constater dans ce compte-rendu.

 

 

 

Jeudi 16 octobre 2014

Courses à Baeza

Nuit sans bêtises pour Copita. Avant de me coucher la veille, je me demandais comment envoyer par mail toutes les photos que j’avais réalisées à tous ceux qui me l’avaient demandé. Une idée lumineuse est soudain apparue dans ma cervelle ramollie. Des clés USB pour chacun. En tout six. Je me suis couché confiant, en pensant que dans une ville comme Baeza, ce serait facile à trouver. Nous sommes donc, ce dernier jeudi espagnol, au moment du lever. Avant de prendre le petit déjeuner, je satisfais aux besoins extérieurs de ma douce petite chienne puis la reconduit dans la cabine du 30 m3. Je me rends au restaurant et y retrouve Rita et son époux. Je leur fais part de mon idée « brillante » de la veille et nous partons vers les commerces du centre-ville. Auparavant, ils y avaient conduit Jean, Henri, Claude et Maryse pour qu’ils s’achètent de l’huile d’olive avant de rouler vers la France. Nous partons déjà au chinois du coin, contre l’avis de Michel qui ne le trouve pas sympa. Effectivement, lorsque nous y arrivons, à peine un regard vers nous. De toute manière, ils n’ont pas ce que je recherche. Trop fortes en capacités, trop chères. Nous nous rendons alors vers la première idée de Michel : le Marocain du coin. Bingo. Je les achète. Puis Rita me dit que Jean n’avait pas eu le temps d’acheter son jambon. Qu’à cela ne tienne, je voulais lui offrir quelque chose pour tous les services qu’il nous a rendus pour la logistique et pour les dépassements kilométriques qu’il s’apprête à négocier avec le loueur. Il nous faut faire trois commerces avant de trouver le jambon adéquat. C’est fait. Vite, il est bientôt 10 h 30. Retour à l’auberge pour retrouver JP.

Errances à Linares

Nous partons dans la foulée à la pension de Linares pour récupérer les six galgos qui nous y attendent, non sans avoir fait nos adieux à Rita et Michel. 20 km, ce n’est pas grand-chose. Nous y sommes rapidement. Mais problème. Aucun de nous deux ne se souvient de l’endroit où se trouve la pension. « Elle est entourée de ruines », dis-je à JP. « Oui, je sais. Mais il n’y a que ça ici », me répond-il. Imparable, malgré ma bonne volonté de jouer le GPS qui, lui, nous fait tourner en rond. Finalement, nous nous arrêtons au commissariat local et je descends pour demander notre chemin. Je m’adresse au planton de service dans un espagnol hésitant et très scolaire. « Bonjour, je suis Français. » Comme s’il ne s’en était pas rendu compte avec mon accent à couper au couteau. « Je parle français », me précise-t-il. Stupeur et ravissement. Il prend une carte de la ville, m’indique où je peux trouver le cabinet du vétérinaire à qui appartient la pension. Lui, il ne sait pas où elle se trouve. Je le remercie chaleureusement, en espagnol. C’est la moindre des choses pour récompenser ses efforts.

Après moult tournicotis, nous arrivons enfin en face du cabinet encore ouvert. Il est presque midi. Heureusement, là-bas, les commerces ferment à 14 h. J’entre, je demande Antonio. Nous nous saluons très cordialement et je lui explique notre problème. Il demande alors à son assistante de partir en voiture devant nous pour nous guider. Nous arrivons à la pension à près de 12 h 30. Nous avons déjà un retard considérable. On ne préfère pas y penser. Maria nous passe les chiens un à un, le temps pour nous de monter les caisses de transport, en kit, et de les placer dans le fourgon. Une fois qu’ils sont tous positionnés, je les arrime solidement. On peut y aller. Nous ne traînons pas. Nous avons encore un peu de route à faire pour récupérer Wanda, une jolie petite podenca de pas encore un an, à la pension de Pozuelo de Calatrava. Domi, qui parle français, nous y attend.

Besoin de deux caisses de transport et petit « cadeau » de Copita

Nous y sommes peu avant 15 h. Domi nous accueille et nous indique le chien que nous allons emmener avec nous. « Elle est grande », s’exclame JP. « On ne pourra pas la mettre devant. » Aïe. Il nous manque une caisse de transport. Peu importe, le bénévole de la pension a ce qu’il nous faut. Bien. Soulagement. JP me demande de faire des photos. Je m’exécute, oubliant temporairement que Copita s’était agitée un peu plus tôt dans la cabine, avait fait un petit vomi et remuait encore lorsque je l’ai quittée. Tout se passe à merveille. Je reviens vers le fourgon, ouvre la porte de la cabine pour sortir Copita et là… Horreur ! Un magnifique étron visqueux et très malodorant trône sur le siège passager, là où je suis censé poser mon fessier. La chienne, quant à elle, parait contrite. Que puis-je faire ou dire ? C’est de ma faute. Je la sors, la confie à JP et m’enquiers d’eau et de savon. Je ramasse la chose nauséabonde avec du papier toilette et m’en mets plein les mains au passage. Je nettoie, frotte, l’odeur persiste. Il reste une couverture à l’arrière. Je recouvre le siège avec. Domi nous signale que la chienne sera peut-être plus à l’aise avec les autres. «Nous n’avons pas de caisse pour elle », objecte JP. « Je vais en chercher une. C’est à 10 mn de voiture », répond Domi. J’ai le cœur serré de me séparer de ma compagne de route. Peut-être est-ce plus raisonnable. Dans 24 heures, elle sera avec son adoptante. Je me fais une raison. Elle ira à l’arrière.

Trois heures de retard

Nous parvenons enfin à charger les deux derniers chiens après le retour de Domi. Nous filons à nouveau après les adieux d’usage. Les autres sont à plus de trois heures devant nous. Nous roulons alors, en alternant nos places pour conduire, presque sans discontinuer, sauf pour aérer de temps en temps les chiens, ainsi que notre cabine polluée, et leur donner à boire, jusqu’à la frontière française, que nous franchissons vers 3 h du matin. A cette heure-là, pas de possibilités de nous acheter nos cartouches de cigarettes côté espagnol. Tout est fermé. Nous n’en pouvons plus. Nous sommes en vue de l’hôtel, à Perpignan, vers 3 h 30. Nous réveillons les autres pour qu’ils prennent en charge deux chiens chacun et pour qu’ils les nourrissent. Toutes les figures sont marquées par l’épuisement, mais la bonne humeur est encore là. Les loulous sont promenés en file indienne, font pipi et se restaurent. Pour ma part, j’aurai Copita et Wanda dans ma chambre. Les louloutes ne daignent pas faire pipi. Bon ! Je les emmène dans ma chambre et jette les tapis de sol sur les deux lits. Jean a eu la gentillesse de m’ouvrir la porte et d’apporter mes bagages. Je ressors fumer une cigarette avec JP, me retourne pour observer mes invitées et les vois pisser sur chaque lit. Allons bon. Je relativise. J’avais pris mes précautions cette fois. Je dis bonne nuit à tout le monde, vais nettoyer un peu les bêtises, décharge les dernières photos du jour sur l’ordi et charge les clés USB avec les clichés du séjour. Entre temps, la petite Wanda, après m’avoir évité pendant près d’une demi-heure, a commencé à faire ses tentatives d’approche d’une manière très touchante. J’ai pu la caresser. Je me couche enfin. Il est près de 5 h du matin. Je me lève dans un peu plus de deux heures. Les deux chiennes sont sur le lit d’à côté, Wanda pose sa tête sur mes pieds. Je m’endors. Trou noir.

 

 

Vendredi 17 octobre 2014

Copita et Wanda s’en vont

Deux heures plus tard donc. Peu avant 8 h du matin. Je me réveille les yeux gonflés. Wanda a toujours sa tête sur mes pieds. Les deux chiennes se réveillent et me disent bonjour en remuant la queue. Petit coup au cœur en pensant que ce sont les premières que nous allons laisser à adoptante et famille d’accueil. Pas d’autres bêtises à signaler. Vite, à la douche. Ça me requinque. Petites caresses aux chiennes. Petites léchottes. Qu’est-ce qu’elles sont mignonnes ! J’entends mes compagnons de route à l’extérieur. Surtout la voix d’Henri qui se demande si je suis encore au lit. « 55 kg au départ, 80 au retour », s’exclame-t-il en parlant de moi avec son accent parisien si caractéristique. Henri s’est toujours inquiété de mon absence. Un vrai papa poule. Nous nous entendons tous à merveille. Ils remettent les six galgos dans la caisse du 30 m3, avec l’aide de JP, qu’ils ont réveillé en fanfare. Il leur faut regagner Lyon avant nous, car ils doivent rendre le 20 m3 et le 19 tonnes chez Mingat avant 18 h. Ils y seront largement. Ils ont envie aussi de se reposer un peu chez Jean. Claude et Maryse rentrent ensuite dans le Doubs dans le camping car de Régis et Andrée.

Bref, je me sèche, procède à mon ravalement de façade, me lave les dents, applique généreusement mon déodorant sur mes aisselles, me parfume (1881 de Cerruti pour ceux et celles qui se demandent ce que je sens), intoxique au passage les pauvres chiennes avec mon sillage, m’habille et me précipite dehors pour donner les fameuses clés USB à tout ce petit monde. Les moteurs tournent. Tout le monde est agréablement surpris. « Ah ben ça, j’m’y attendais pas !», s’exclame mon bon Henri. « J’te dirai pas tout l’bien que j’pense de toi », dit-il avec une certaine qualité brillante qui borde ses yeux. Un affectif, cet Henri. Claude est ravi. Régis aussi. JP, bien évidemment. Je n’avais rien dit à personne auparavant. Ils s’en vont. Je vais chercher les toutounes. Elles font pipi, boivent, mangent et hop, je les mets dans leurs caisses respectives. J’arrime une nouvelle fois les huit chiens. Puis, je bois un café avec JP. Nous mangeons chacun un croissant à l’œil. Le gérant nous l’offre. Il est temps de partir. 9 h 30. Nous n’avons pas de retard.

Direction Narbonne, où nous allons laisser Copita à Hélène, son adoptante. Cette dernière arrive en voiture, accompagnée de ses copines. Elles viennent spécialement de Bordeaux pour accueillir la petite princesse. Je tiens Copita en laisse. J’ai le cœur serré. J’ai passé 4 nuits avec cette belle et gentille petite épagneule. Malgré les misères qu’elle m’a faites, je m’y suis attaché. Elle va être bien dans sa nouvelle maison. Hélène semble douce. Copita renâcle. Elle ne me lâche pas du regard. JP me conseille de remonter dans la cabine. Je m’exécute. C’est un moment difficile. JP reprend le volant. Nous nous dirigeons vers Nîmes. C’est au tour de Wanda.

Nous y retrouvons la famille d’accueil de la jeune podenca. Des personnes très sympathiques, dont un routier. Allez, JP et moi-même en profitons pour faire une imitation d’Henri et de son verbe, digne des dialogues de Michel Audiard, façon « Il va se prendre un coup de saton dans les ratiches », ou « Si t’es pas content, tu prends la lourde et tu rentres en babouches ». Éclats de rires généraux. Ça fait du bien. Ne t’inquiète pas Henri, on t’aime. Et ça, c’est sincère. Wanda fait connaissance avec les deux galgos présents sur place. Elle les aime bien. Les gens, ma foi, elle s’en méfie. Pendant ½ heure. Après, elle redevient très touchante. Encore un moment de séparation difficile.

Retour vers la Franche-Comté

Nous voilà repartis. Il est à peu près 12 h 30. Nous n’avons rien mangé depuis le matin. Ca tombe bien, il faut faire le plein. Ravitaillement en station service, comme d’habitude. A nous Lyon. Arrivée vers 15 h 30 ou 16 h. J’ai perdu le compte. J’ai été dans l’incapacité de remplacer JP au volant. Je suis une vraie loque, qui s’endort à tous les kilomètres. Pardon JP. Il n’est pas plus frais que moi, mais tient le choc. Nous sommes sur la rocade de la capitale de la gastronomie française. Après quelques errances au centre-ville, JP appelle Jean au téléphone. Il nous dirige vers chez lui. A un moment, il est à quelques voitures derrière nous. Nous arrivons ensemble sur sa magnifique propriété. Michèle vient nous accueillir, ainsi que Marie-Hélène, qui doit remonter un de nos six galgos vers je ne sais plus où. Nous sortons nos protégés de la soute et les confions à Marie-Hélène, qui les promène aussitôt. Nous sommes épuisés. Lolito, le podenco de Michèle et Jean, joue au mâle dominant et râleur face aux intrus. Son copain le boarder collie est plus calme. Tout se passe bien. Les toutous ibériques sont adorables.

Nous nous installons face à un somptueux repas pour nous remplir l’estomac. Que c’est bon ! Michèle est un cordon bleu. Et le jambon pata negra tient toutes ses promesses. Jean en a coupé en suffisance. Il connaît mon appétit légendaire. Nous discutons tous de nos récents souvenirs. Henri est là. Il ne part que le lendemain matin. Jean l’emmènera petit-déjeuner des huîtres aux halles de Lyon. Il prendra son train de retour après. Nous ne voyons pas les heures passer. Ouille, presque 19 h. Faut y aller. Nous avons encore un arrêt à Beaune pour confier quatre des cinq galgos que nous embarquons à une voiture qui remonte à Lille. Nous chargeons, non sans difficultés, nos protégés dans le scénic de JP. Il les attache. Yuma commence à gronder pour se faire de la place. Un coup de gueule pour que la meute se calme et tout rentre dans l’ordre. Nous disons au-revoir à nos hôtes.

Peu avant 22 h, nous sommes à Beaune. Nous nous délestons de la majeure partie de notre chargement. Reste Yuma, qui passera la nuit à Besançon avec moi. Nous arrivons dans la capitale comtoise vers 23 h. Fin du voyage. Après un café chez JP, je réintègre mes pénates Bisontines. Yuma est très câline. Il faut qu’elle me suive pour voir ce que je fais, puis elle réintègre le vieux pouf qui se trouve dans ma chambre pour se coucher, sans avoir mangé. Mais elle a bu. Elle l’a choisi d’emblée. Mademoiselle aime son confort. Dans l’après-midi, JP m’a passé Catherine, son adoptante, pour que nous nous fixions rendez-vous chez moi, dans les Vosges, pour 11 h le lendemain matin. Je me couche. Que c’est bon ! Trou noir à nouveau.

Samedi 18 octobre 2014

Fin du périple

Je me réveille à 8 h 30 et prends mon temps. Seulement, le temps, ça passe vite. Je suis à la bourre. Nous sortons pour récupérer ma voiture. Yuma manque de croquer un petit chien au passage. Je la maîtrise et la gronde. Elle se calme. Autoritaire et jalouse la belle ! 10 h 30, je sors de Besançon. Arrivée à Arches vers 12 h. Lionel et Catherine sont déjà à la maison avec leur adorable Trésor. Nous passons au jardin, non sans avoir enfermé Roxanna, notre galga, folle de rage. Je ne l’avais jamais vue comme ça. Instinct de propriété, peur, jalousie. Sinon, d’habitude, elle est très calme. Peut-être que Trésor bouge un peu trop. Elle a peur des gros chiens depuis qu’elle a été attaquée par le berger allemand de notre boucher. Elle en porte encore la cicatrice sur le dos. Yuma et Trésor s’accordent bien. Trésor fait le fou, accompagné par notre cavalier king Charles, Gatsby. Il tourne comme un dératé. Et plouf, dans le bassin. Je me précipite pour le récupérer, mais il s’en sort tout seul, pas du tout traumatisé. Nous rions tous beaucoup. Nous donnons les papiers d’adoption de Yuma au couple et nous nous disons au-revoir. Je déjeune et vais me reposer sur la terrasse. Mission accomplie. J’ai le cafard. C’est dur de terminer une aventure quand tous ceux qui y ont participé se sont si bien entendus. Je repense à Erol, le croisé podenco-pittbull. Lui-seul représente la somme de tout ce que nous avons vu et vécu en Espagne. Tout me revient en mémoire. Je craque et pleure. Une chose est certaine : je recommencerai l’année prochaine. C’est si bon de faire un peu de bien autour de soi. Les loulous que nous avons laissés là-bas le méritent tellement. Les bénévoles aussi.

P.S. à ceux qui seraient déçus de ne pas avoir eu le compte-rendu de visite des autres refuges :

JP et moi-même n’y étions pas. Ils sont tout aussi méritants que ceux que j’ai vus. Notre convoi n’a oublié personne et chacun a eu sa juste part de dons. Notre équipe s’est partagé le travail équitablement. Nous avons tous vécus une aventure exceptionnelle.

 

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68 Responses to “Convoi 2014, compte rendu de Paul Henri”

  1. Gisèle dit :

    J’ai profité de ce week-end pour  » dévorer  » l’émouvant et prenant récit de Paul-Henri et j’avais bien l’impression d’être de l’aventure !
    Mais voir et revoir tous les regards suppliants de ces loulous dans leurs cages et derrière les barreaux , ça ne doit pas laisser indemne !
    Et heureusement que vos récits étaient aussi emplis d’humour et d’anecdotes ! malgré les larmes , les sourires furent nombreux !

    J’espère que les mentalités vont changer et que la souffrance des animaux quels qu’ils soient sera bientôt reconnue et j’espère aussi que ce n’est pas une utopie !

    • Paul-Henri Piotrowsky dit :

      Merci Gisèle. Heureux que ce récit vous ai plu. J’y ai pris beaucoup de plaisir. Moi-même, je le relis parfois, surtout quand j’ai un coup de blues. J’espère y avoir mis aussi de l’espoir. PH

  2. françoisetalain30 dit :

    merci et Bravo à Paul Henri pour ce si beau récit plein d’émotion et d’humour malgré tout ..

    contente de vous avoir aperçu à Nimes sur votre retour avec JP..

    bravo encore à tous pour ce périple magnifique plein de générosité, de courage et de partages.

    heureusement qu’il y a des gens sur terre aussi impliqués pour la défense de la cause animale..

    bien à vous toutes et tous !!!

    • Paul-Henri Piotrowsky dit :

      Merci pour votre message. Excusez-moi pour l’oubli de vos noms dans mon récit. J’ai beaucoup apprécié notre rencontre et notre partie de rigolade. Ça faisait du bien.A une prochaine fois j’espère. PH

  3. ANNIE V.du GARD dit :

    Merveilleux récit a la fois touchant et avec toujours la petite pointe d’humour nécessaire a la vision de tous ces loulous malheureux que vous avez croisés

    Wanda est contente d’avoir fait un si merveilleux voyage ce qui lui permet de faire des bêtises en France !! youpi Mais elle est très intelligente et comprend déjà si je lui fait les gros yeux elle va dans son dodo…. pas mal au bout de 10 jours…. Elle a trouvé des copines de jeux à la maison et c’est bien pour elle. Elle a toujours été propre et elle demande pour sortir …. encore parfait tout ça ….. Tient elle sait bien aboyer … manière de dire je suis là vous avez vu mdr..
    Au départ elle a eu peur, un peu du terre neuve mais maintenant elle va s’asseoir sur sa tête et il ne dit rien ce gros nounours ….

    Wanda vous donne les deux pattes sur les épaules de grandes lechouilles et un doux regard comme elle sait le faire et surtout merci beaucoup de m’avoir donné une chance en quittant l’Espagne.

    • Paul-Henri Piotrowsky dit :

      Wanda me paraissait être une chienne très câline et intelligente quand je l’ai eue avec moi pour une nuit. Très touchante. Je suis heureux qu’elle se sente bien chez vous. Elle va y trouver son équilibre. PH

  4. Bambou dit :

    Beaucoup d’émotions Paul-Henri en vous lisant.. nous avons marché avec vous, pleuré avec vous, ri avec vous.. nous étions vos ombres discretes et muettes mais tellement présentes dans la pensée.

    A travers vos mots, on ressent tous les sentiments qui vous ont animé pendant ce périple harassant mais tellement riche en rencontres.
    (votre attachement à Copita, les bons mots d’Henri, les rigolades entre vous, la visite des refuges et l’isolement des bénévoles..)

    Beaucoup d’entre nous revent de participer à ce convoi, fatiguant certes mais tellement enrichissant. Personne n’en revient indemne et je pense que certaines images restent imprégnées dans la mémoire comme une encre sur le papier.

    Merci pour ce formidable récit… et pour votre présence à nos cotés.

    • Bambou dit :

      et je rejoins Cachou.. un livre avec tous les récits des convois. ce serait bien de les avoir en format papier.

    • daisy69 dit :

      Comme tout ceci est bien dit Joëlle, Paul-Henri nous a emmené avec tous ses amis à 2 ou 4 pattes dans cette magnifique aventure et toi tout au long de l’année nous savourons ta prose… Vous devriez songer à mettre vos écrits en commun. Amitiés. MH

    • Paul-Henri Piotrowsky dit :

      Merci Bambou. Vous venez de rendre hommage à un récit que j’ai pris beaucoup de plaisir à écrire. Il m’a replongé dans cette formidable aventure humaine et chaleureuse. Pour ce qui concerne les écrits à publier, je suis partant. Reste à convaincre JP et surtout à trouver un imprimeur. Je vous embrasse. PH

  5. corinnedu69 dit :

    Merci pour ce récit que j ai lu et relu avec attention,que d’émotions.

  6. Une demi heure de lecture et je reste sans voix devant ce récit extraordinaire

  7. MamieSo dit :

    Merci pour ce récit plein d’émotions !
    Comme le dit Cachou , cela va nous manquer …
    Ok pour l’année prochaine !
    Au plaisir de vous revoir …

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