Parce qu’il n’y a pas de Noël sans conte, nous vous offrons cette année cette magnifique nouvelle écrite pour nous par Marie-Odile (qui était venue de Marseille à notre Assemblée Générale), et que je remercie vivement.
Ce texte a été traduit en Espagnol par Véronique (l’adoptante de Mika) et remis à Marie Teresa lors de notre Convoi de l’Espoir.
Je vous laisse apprécier ce magnifique récit avec, de préférence, la boite de mouchoirs à portée de mains.
Nacho le Galgo ou la vie d’un lévrier espagnol
Je m’appelle Nacho. Je suis un lévrier à poils courts et à la robe beige (ici on nous appelle galgos). Je suis né en Castille, au cœur de l’Espagne, à Ciudad Real près de Madrid, dans une propriété où mon maître fait régner l’ordre à grands coups de pieds et de bâtons. Les premiers mois, je suis resté au chaud près du ventre de ma maman. Je me souviens de son amour pour nous, mes six frères et sœurs et moi. Me restera aussi le souvenir de sa tristesse grandissante au fil des jours lorsque, un par un, ceux-ci lui furent enlevés. Moi seul, je suis resté avec elle, mais pas longtemps. Quelques mois plus tard, mon maître m’installa dans un chenil sombre et froid, d’où il ne me sortait que quelques heures par jour pour me dégourdir les pattes au début, puis des après-midi entiers où l’on partait tous les deux chasser dans la colline, lui avec son fusil et moi avec mes crocs.
Après un bon apprentissage, j’ai très vite compris que quand je revenais avec quelque chose dans la gueule, il était content et on rentrait tranquilles, sans cris, lui dans l’habitacle de son fourgon, moi derrière dans le fourbi qui le garnissait. Par contre, si je revenais bredouille, il me fallait me préparer à encaisser les coups et subir les engueulades. Je ne comprenais pas ce qu’il disait mais tout ce que je sais c’est qu’il n’était pas fier de moi et le plus dur c’est que ce n’était pas fini ; Ces fois-là, il me privait de manger et boire pendant plusieurs jours et je restais enfermé tout le temps. Ca me rendait malheureux au début, et puis… je m’y suis habitué, que pouvais-je faire d’autre ? Je pleurais parfois, mais pas longtemps, sous peine de recevoir tous les projectiles qui lui passaient sous la main. Heureusement que le grillage du chenil tenait bon… Ma maman ? Je l’ai entendue pleurer au loin quelques jours après qu’il m’ait enlevé à elle, et puis plus rien… je ne l’ai plus revue, qu’est-elle devenue ? Je ne le sais pas. Peut-être vaut-il mieux que je ne le sache jamais. En tout cas, elle m’a vraiment manqué dans ces moments-là.
Puis, j’ai grandi. A maintenant trois ans, je suis très bon chasseur et, en cette fin octobre, mon maître et moi sommes partis chasser dans la colline près des oliveraies. Lui, il tire les oiseaux, moi je traque le gibier. Cet après-midi est bien entamé mais le soleil est encore chaud. Le nez au ras du sol, je sens soudain une odeur forte. Un lièvre se trouve dans les parages, pas loin, c’est sûr. Mon furetage s’intensifie et frrrrrttt, le lièvre déboule devant moi en courant. Je lui cours derrière car il ne doit pas m’échapper. Je cours, je cours, mais lui aussi le bougre. Emporté par mon élan, je ne vois pas la grosse pierre au milieu du chemin. Je la percute à toute volée avec ma patte avant gauche que j’entends se briser alors qu’une douleur fulgurante me parcourt l’échine et me fait chuter durement. J’ai très mal, c’est atroce. Je pleure et j’aboie pour appeler mon maître à l’aide. Plusieurs minutes passent avant qu’il ne me trouve et c’est très en colère qu’il apparaît près de moi. Il vocifère, il gesticule, je ne comprends pas ce qu’il dit mais il n’est pas content, comme quand on rentre bredouilles et que ça le contrarie. Il arrive sur moi. Je crois qu’il va m’aider mais, voyant mon état, au lieu de se pencher pour me prendre dans ses bras et me ramener à la voiture, il me donne un coup de pied dans le ventre avec sa grosse botte. L’impact me coupe le souffle et me fait hurler de douleur car il a touché ma patte fracturée. Et puis, il crache encore quelques mots rageurs, il se retourne et il s’en va. Je ne vaux même pas une de ses balles pour m’achever.
Que vais-je devenir maintenant ? Rester là seul, mourir lentement et douloureusement. Alors, je pose ma joue contre la terre et je gémis doucement, attendant que, peut-être, dans un remords, il revienne… Cette nuit-là, j’ai froid et j’ai peur tout seul. Les bruits qui m’entourent ne me réconfortent pas. J’ai soif mais je n’ai pas faim, pas encore, j’ai l’estomac noué et cette douleur lancinante qui me taraude toujours. Peut-être un animal viendra me sauter dessus et je n’aurai plus mal… Mais le matin arrive et je suis toujours là. Je n’ai pas bougé d’un pouce, je ne le peux pas, j’ai trop mal. Il n’est pas revenu bien sûr. Un autre jour passe, entier, et une autre nuit encore. Puis deux, puis trois… Maintenant j’ai tantôt froid, tantôt chaud, la fièvre est montée. J’ai si soif et si faim, ma langue a gonflé dans ma bouche et je respire difficilement. J’ai tellement aboyé que je ne peux plus, un petit son sort de ma gueule de temps en temps lorsque la douleur est trop lancinante, et puis plus rien. De toute façon, qui passerait par là pour me sauver ? Le cœur et le corps en miettes, j’attends la mort.
Quatre jours sont passés et j’agonise : personne, je n’ai rien vu, ni entendu personne qui puisse m’aider. Soudain, dans le peu de conscience qu’il me reste, j’entends des aboiements frénétiques au loin. Ils sont deux ou trois chiens et je crois qu’ils m’ont flairé et qu’ils me cherchent parce qu’ils se rapprochent de plus en plus. Enfin, l’espoir qu’on en finisse, l’ultime délivrance où je n’aurai plus mal. C’est eux que je sens en premier autour de moi, mais au lieu de me bousculer, ils m’entourent tout excités et me lèchent et me poussent de leur museau comme pour me dire : allez lève-toi, il faut te lever. En même temps ils aboient, semblent appeler quelqu’un. Une voix féminine les rappelle à l’ordre : Nina, Rigel, Orca poussez-vous de là. Une femme se penche sur moi, elle semble inquiète. Pourquoi ? Je ne sais pas. Sans savoir si je vais mordre ou pas, elle me fait un câlin, le premier de ma vie, une caresse toute douce et elle me parle tout bas. J’ai toujours aussi mal, mais cette caresse que je n’ai jamais connue, ça me fait tellement de bien… Elle me parle, me parle sans arrêt. Sans me toucher la patte elle m’examine sommairement et juste après une dernière parole, elle s’en va en courant, emmenant avec elle mes trois sauveurs. Et pourtant je sais, à cet instant, qu’il faut que je fasse un effort pour rester encore un peu en vie. L’espoir revient en moi, elle va peut-être revenir, elle. Un quart d’heure plus tard, effectivement, elle est de retour avec un homme, ils me mettent sur une couverture, me transportent dans une voiture et m’y déposent tout doucement. Mes amis chiens ne sont plus là. Pendant le trajet j’entends celle que je ne nommerai plus que ma fée parler avec l’homme qui l’accompagne. Elle a la voix inquiète. Je gémis un peu lors des cahots de la route mais ses mains reviennent sur moi, et elle se remet à chuchoter des mots que je ne connais pas mais que je sens pleins d’amour et qui me réconfortent.
La route est longue pour moi, puis la voiture s’arrête. On me sort très vite. Ma fée reste à côté de moi, elle chuchote et me caresse toujours. On me dépose sur une table froide et puis… Je me réveille sur une couverture dans une cage grillagée, des pansements et des tuyaux partout. Je suis groggy et j’ai un peu mal au cœur, mais je n’ai plus mal, suis-je mort ? Ma fée n’est plus là. A peine les yeux ouverts cependant, je replonge dans les vapes. Au bout d’un temps que j’aurais peine à compter, j’ouvre un œil et je commence à m’agiter mais j’arrête très vite car je sens que j’ai mal à la patte. Une dame en bleu s’approche de moi, elle parle doucement et me caresse, mais ce n’est pas ma fée. Elle est gentille tout de même, elle aussi. Une nuit, un matin, la tendance s’inverse. Je reprends chaque jour un peu de vie perdue. Le combat est immense, j’entends bien le gagner. Aux petits soins pour moi, l’équipe se démène et ma fée vient ici me voir tous les jours. Je suis tellement heureux chaque fois qu’elle est là, c’est pour elle que je me bats, je sais qu’elle m’aime bien et je voudrais tellement lui faire plaisir. Passent donc les jours : le jour où l’on me fait des radios, celui où je n’ai plus eu de tuyaux, puis plus de pansement, le jour où j’ai fait mes premiers pas hésitants et puis de mieux en mieux, le jour où j’ai pu faire mes besoins seul dans la cour de la clinique…
Aujourd’hui, je vais très bien. Ma fée, comme chaque jour, va arriver d’une minute à l’autre. La voilà qui vient. Mais après les fêtes coutumières, cette fois-ci, au lieu de me lâcher dans la cour de derrière, elle me glisse autour du cou quelque chose qui me gêne et y attache une corde qui m’arrête lorsque voulant aller vers la porte du fond, je me sens étranglé. Enfin, après avoir été caressé et embrassé par tous je me retrouve dans la rue bruyante et qui fait peur, mais avec elle je n’aurai plus jamais peur. Nouveau départ, nouvelle vie pour moi… Ma fée, tient un refuge pour les abandonnés et meurtris de la vie. J’y coule des jours heureux avec mes trois amis que j’ai retrouvés là-bas et bien d’autres comme nous. Je vois ma fée le jour, je dors avec les autres la nuit.
Puis un jour, une dame est venue, elle a fait le tour du refuge avec ma fée. Quand je l’ai vue, elle pleurait et je me suis approché pour lui lécher les mains et la réconforter. Elle m’a serré très fort. Aujourd’hui, je suis chez elle, en France, dans sa famille qui m’aime et que j’aime et je suis très heureux. Ma fée est restée au refuge, en Espagne. J’y pense encore très souvent et mon cœur gardera toujours une place de choix pour elle. Son prénom, je le connais maintenant c’est Maria Teresa. Elle est, pour tous mes frères et sœurs martyrs, la plus belle chose qui puisse leur arriver lorsque, à bout de souffrances physiques et mentales, comme moi il y a peu, ils croiront voir la mort.